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Analyses

Quelle relation formation-emploi pour les communicants ? Les savoirs en communication à l’épreuve des représentations des parties prenantes de la formation

What relation between training and employment for communicators? The communication knowledge to the test of the training parties’ representations
Fabien Bonnet
p. 245-254

Résumés

Cet article propose de questionner l’évolution des métiers de la communication sous l’angle des savoirs que ces derniers mobilisent face aux évolutions organisationnelles, économiques et technologiques en cours. Il s’agit tout d’abord de questionner le périmètre attribué à cette fonction au regard des missions définies puis prises en charge par les professionnels. L’approche proposée s’appuie également sur une analyse des représentations de l’activité élaborées par les communicants en activité ainsi que par les étudiants en cours de professionnalisation dans ce secteur.

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Texte intégral

Introduction

1Cet article propose de questionner l’évolution des métiers de la communication sous l’angle des savoirs que ces derniers mobilisent face aux évolutions organisationnelles, économiques (Cousserand, Blin 2010) et technologiques en cours. Ce questionnement intégrera les enjeux identifiables pour cette fonction dans les différentes structures publiques et privées où elle s’exerce, en considérant les liens entre activité professionnelle et parcours de formation.

2Tout d’abord, il s’agit de prendre en considération la prescription de travail en tant que champ des missions confiées aux professionnels de la communication et de comparer cette prescription avec l’activité réelle de ces acteurs, telle qu’elle s’effectue dans le contexte des organisations qui se sont dotées de cette fonction ou qui lui sont dédiées, par exemple les agences ou cabinets de conseil. Cet appui méthodologique sur l’identification des écarts et des convergences entre prescription de travail et activité réelle constitue, en termes d’analyse du travail et d’évolution d’un métier, un élément central pour l’étude de l’évolution des professions (Dubar, Tripier, Boussard 2015). Cette approche méthodologique serait cependant incomplète, et tout particulièrement dans le cadre d’une approche communicationnelle des métiers de la communication (Bouillon, Bourdin, Loneux 2007), si elle n’intégrait pas un troisième élément majeur, propre aux acteurs professionnels eux-mêmes. Il convient donc d’impliquer ici le champ de la perception et des représentations (Jovchelovitch 2007) que les professionnels de la communication élaborent et expriment vis-à-vis de la prescription de travail et de l’activité exercée. De ce point de vue, il s’agit donc d’intégrer dans la réflexion les conceptions forgées par les acteurs, d’une part, par les étudiants en formation vers des métiers de chefs de projet et chargés ou assistants de communication et d’autre part, par les professionnels employeurs et praticiens, en tant que sens attribué et trouvé par ces derniers vis-à-vis du métier de communicant, de ses enjeux, de ses évolutions et de ses exigences. C’est à partir de ce triptyque prescription / activité / représentation que nous situerons ici notre propos autour de la question générale d’une adéquation formation/emploi (Quenson 2012) en évolution que nous souhaitons poser, notamment à propos des fonctions de médiation assurées par les communicants à travers les savoirs qu’ils construisent et mobilisent dans le cadre de leur profession.

3En ce qui concerne le matériau collecté en vue de cette approche exploratoire et située, conduite pendant deux années sur le bassin d’emploi alsacien, nous appuierons nos analyses à la fois sur les données recueillies et formalisées au cours et à la suite d’entretiens de recrutement avec des candidats à des cursus de Master en sciences de l’information et de la communication ainsi que sur des entretiens réalisés auprès de professionnels dans le cadre d’encadrements de stages. Nous pourrons compléter notre analyse à l’aide des informations recueillies lors des échanges entre professionnels et universitaires dans le cadre de notre participation à l’association professionnelle Communication & Entreprise1. Enfin, nous appuierons nos réflexions sur des travaux d’études et de recherche récents consacrés à ces questions.

Communication et recrutement : quels enjeux et quelles attentes pour les professionnels ?

4La première question soulevée ici concerne les types de tâches que les professionnels de la communication, fréquemment impliqués dans les cursus professionnalisants, disent pouvoir et souhaiter confier aux étudiants ayant intégré un Master en communication. De façon corollaire, il s’agit d’interroger les représentations élaborées par les professionnels à propos du positionnement d’un chargé de communication ou d’un chef de projet en devenir dans leur organisation. En cela, il s’agit également de caractériser leurs conceptions vis-à-vis du périmètre d’activité des communicants et de leur place dans l’organigramme. De même, il s’agit de répondre à une question centrale : les professionnels en exercice perçoivent-ils une cohérence entre leurs activités usuelles et la représentation qu’ils se font de leur métier ? Au regard de l’ensemble de ces considérations, quelles sont, selon eux, les compétences essentielles attendues d’un futur professionnel en communication à l’issue de sa formation et après quelques années d’exercice ? Enfin, et de ce point de vue, ces professionnels ont-ils été amenés à reconsidérer leur métier en termes d’intérêt, de diversité, de spécialisation ou d’ouverture ?

5Un premier constat général émerge des données recueillies auprès des professionnels à propos du niveau de recrutement des étudiants issus de formations en communication en vue de pourvoir des fonctions de chargés de communication ou de chefs de projet. Il apparaît que ce recrutement s’effectue principalement au niveau Master, que ce soit à l’issue d’une formation universitaire ou d’un cursus en école. Ce constat est corroboré par les résultats d’une étude récente menée par Sup de Com qui précise que le recrutement s’effectue au niveau Master dans 40,2 % des cas chez les annonceurs et 34,1 % au sein des agences2.

6Cependant, nos analyses conduisent à distinguer une perception différente des enjeux liés au recrutement selon que l’on considère les annonceurs ou les agences. En effet, les annonceurs recherchent des profils qu’ils qualifient de « généralistes », quand les agences évoquent plutôt la recherche de « spécialistes ». À titre d’exemple, le niveau de maîtrise des outils PAO demandé à un chargé de communication chez l’annonceur est moins avancé que celui attendu d’un graphiste en agence. Mais le chargé de communication devra, quant à lui, être en mesure de penser et de mettre en œuvre une stratégie de communication intégrant les différentes parties prenantes, agences prestataires y compris, ce qui implique une connaissance des acteurs et des différents métiers concernés en lien avec des capacités de coordination et de pilotage de projet.

7En ce qui concerne les savoir-faire sociaux attendus, annonceurs et agences se rejoignent généralement pour avancer les mêmes critères tout en mentionnant certaines difficultés de recrutement en ce qui concerne des capacités liées aux aptitudes relationnelles, à l’adaptabilité, à l’autonomie, aux facultés d’organisation et de créativité. Il est notamment remarquable, à la lumière des entretiens conduits avec des professionnels, que ces derniers considèrent comme prioritaires les capacités d’intégration à une équipe hétérogène en termes de classes d’âge, de niveau de responsabilité, de « cœur de métier ».

8Sur le plan des compétences techniques attendues par les professionnels, on peut remarquer l’expression d’une forme prédominance des capacités relatives à la maîtrise des outils digitaux. En ce sens, leurs préoccupations concernent principalement les outils de PAO, de production web type CMS et l’administration de comptes sur les réseaux sociaux numériques. Toutefois, savoir écrire pour une diversité de supports, qu’ils soient « papier » ou numériques, tout en intégrant des contraintes éditoriales, demeure un champ de compétences central et valorisé par les professionnels.

9Il est possible de noter que les professionnels lient cette évolution des compétences attendues à une évolution des modes d’expression employés par les organisations dans le cadre de leurs stratégies de communication interne et externe. En effet, la diversité des supports disponibles et les réflexions menées sur les politiques de marque (Bonnet 2010) conduisent ces professionnels à privilégier une logique de complémentarité et d’hybridation entre les dispositifs mobilisés. Ainsi, le recours à une logique de « Brand content » vise à développer le positionnement identitaire des organisations et de leurs produits ou services à travers l’élaboration de contenus conçus pour être relayés par des « influenceurs » (blogueurs, journalistes, artistes, sportifs…) dans le cadre d’une stratégie de relations publiques. Cette tendance, qui a pu être qualifiée de « dépublicitarisation » (Berthelot-Guiet, Marti de Montety, Patrin-Leclère 2013), trouve son expression à travers des dénominations comme « Marketing 360° », « Customer Relationship Management », « Marketing multicanal » ou « Marketing crosscanal ». L’expression publicitaire prendrait ainsi ses distances avec le format publicitaire et appellerait, selon les professionnels, des compétences à la fois techniques et organisationnelles qu’ils qualifient souvent d’ « agilité ».

10De leur côté, les praticiens et les analystes du marketing revendiquent aujourd’hui une forme de responsabilité et de prise en charge de cette « agilité ». Plus spécifiquement, la fonction marketing tendrait, chez de nombreux annonceurs, à jouer un rôle de médiation autour des projets, que ce soit en interne ou en externe. (De Swaan, Van den Driest, Weed 2014) Face à cette revendication, les professionnels de la communication, immergés dans tous types d’organisations suivant des objectifs de nature variée, font part de leur frustration à devoir délaisser les questions stratégiques et de signification au profit d’une fuite en avant dans des logiques d’outillage de la communication, de production de supports et de reporting. (Lépine, Martin-Juchat, Millet-Fourrier 2014) Dans le même esprit, se pose également la question de la participation des chargés de communication aux instances dirigeantes de leurs organisations, notamment au sein des comités de direction (CODIR), les pratiques évoquées à ce sujet étant extrêmement variées et souvent liées à des questions de positionnement personnel des intéressés ou des décideurs vis-à-vis de la fonction communication. Dès lors, se pose la question de l’importance accordée à la médiation des savoirs au sein des organisations : quel est le lieu des prises de décisions stratégiques à ce propos ? Ce décalage entre le discours sur les objectifs stratégiques traditionnellement attribués à la fonction communication et les marges de manœuvre réelles qui lui sont consenties au regard de celles accordées au marketing et aux ressources humaines, transparaît également dans les difficultés de positionnement de certains praticiens de métiers « nouveaux », comme les Social Media Managers ou Community managers. (Galibert 2014)

11Aux dires de nombreux professionnels, on assisterait donc à une forme de montée en puissance du marketing sur les questions de médiation, montée en puissance qui se mettrait en œuvre aux dépens d’une fonction communication réduite de fait à la production intégrée d’outils au service des orientations décidées par le marketing. Cependant, l’essor des activités numériques induit d’importants repositionnements qui ne sauraient être réduits à une simple technicisation du secteur de la communication. C’est le cas par exemple entre agences généralistes et agences spécialisées. On observe ainsi un développement de nouveaux métiers à forte dimension technique en lien avec le numérique au sein d’agences généralistes mais aussi une montée en compétences de certaines web agencies sur des questions stratégiques alors qu’elles étaient jusque-là dédiées à la production. La problématique du recrutement se trouve donc fortement complexifiée par l’ensemble de ces évolutions, tant pour des professionnels confrontés à des emplois particulièrement sensibles (Montel 2009), que pour des étudiants qui ne perçoivent pas toujours les contours d’un véritable métier.

Étudiants en communication : quelles conceptions pour quelle construction identitaire ?

  • 3 Ce corpus regroupe les prises de notes relatives à 40 entretiens réalisés entre juin 2013 et septem (...)

12Il s’agit maintenant de questionner les représentations des étudiants en communication en termes d’attentes vis-à-vis de leur formation et des métiers concernés, d’éventuels projets professionnels, d’éléments de motivation ou de non-motivation, des représentations qui apparaissent dans leurs discours comme autant de facteurs liés à la construction identitaire du futur communicant. Nous nous appuierons pour ce faire sur un corpus de relevés3 réalisés lors d’entretiens de recrutement avec des candidats issus de formations variées ainsi que d’échanges avec des étudiants rencontrés sur leur lieu de travail, par exemple lors de stages ou de missions en entreprise. Rappelons enfin que notre analyse se focalisera plus spécifiquement sur des étudiants engagés dans un cursus de niveau Master.

  • 4 Entre guillemets : expressions relevées lors d’entretiens avec des étudiants ou des professionnels

13Un premier constat s’impose en termes de constante dans la quasi-totalité des discours des étudiants rencontrés, celui d’une volonté déclarée de se professionnaliser, avec comme finalité l’obtention d’un emploi, dans un contexte de crise et de « difficulté d’insertion pour les jeunes »4. Dans cette perspective, le choix des étudiants d’intégrer un cursus en communication semble lié, selon leurs dires, au fait qu’ils attribuent à ce secteur des caractéristiques de dynamisme, d’innovation et de capacité à pourvoir des projets pour de jeunes diplômés. Notons à ce sujet que les étudiants, comme de nombreux professionnels, évoquent sans distinction les champs du marketing et de la communication, en associant les terrains et les objets les plus divers à des pratiques promotionnelles. Ce résultat est corrélé, chez les étudiants, avec leur peu de connaissances effectives des pratiques et des enjeux de communication propres aux différents types d’organisations auxquels ils pourront être confrontés.

14Une crainte émerge assez distinctement dans les discours collectés auprès des étudiants en communication, celle d’une certaine « déconnection » des formations, notamment universitaires, par rapport aux pratiques des professionnels du secteur et à leurs critères de recrutement. Cette crainte se traduit encore par l’importance primordiale accordée par les candidats aux missions en entreprises, stages et possibilités d’alternance, évoqués comme des « temps forts », voire comme des caractéristiques essentielles des formations. Les possibilités de stage et/ou d’apprentissage deviennent ainsi des « critères de choix » importants, voire prédominants, pour les étudiants, notamment dans la perspective de « pouvoir faire ses preuves » et de transformer cette première expérience en embauche à l’issue de la formation.

15Il faut cependant relever la réputation favorable dont bénéficient les écoles supérieures de commerce/management/communication auprès des candidats, en ce qui concerne la perception de leur capacité à faciliter l’insertion professionnelle de leurs étudiants, notamment à travers leur offre de stages ainsi que leur gestion des réseaux professionnels et des partenariats. On notera que la qualité intrinsèque des contenus enseignés est rarement évoquée en tant que critère de choix des filières et des lieux de formation. En ce sens, c’est plutôt le caractère pratique, immédiatement applicable et la capacité à pouvoir répondre à court terme aux attentes des recruteurs qui se trouvent au cœur des représentations exprimées par les étudiants. Certes, il s’agit bien ici de représentations, au sens d’images mentales de la réalité, mais la survivance de ce type de résultat démontre encore, s’il en était besoin, la nécessité d’une information solide, pérenne et renouvelée sur les formations offertes, leurs finalités et la pédagogie déployée.

16Il se confirme par ailleurs qu’une part importante des candidats et des étudiants exprime son goût pour la dimension « pratique », technique, appareillée, de la communication. En ce sens, les membres d’une classe d’âge parfois qualifiée de « digital natives », comptent souvent jouer sur la maîtrise des outils numériques et sur le développement de nouveaux corps de métier (Community manager, PAO, SEO…) pour se voir confier des missions qu’ils associent fréquemment à une prise de responsabilités, y compris dans des contextes de concurrence intergénérationnelle.

17De plus, nous avons pu noter que les ébauches de projets professionnels énoncées par les candidats accordent une grande importance au type de structures dans lesquelles ils comptent s’intégrer. En l’absence de connaissances précises relatives à ces dernières, ils ont tendance à reprendre les argumentaires assez simplistes, souvent utilisés par les organisations elles-mêmes dans leur promotion en vue du recrutement : « Je cherche une équipe jeune et dynamique  », « Ce que je veux, c’est prendre rapidement des responsabilités dans une agence dynamique », « Je suis intéressé par la communication publique car je n’aime pas le marketing », « Je veux faire de la communication interne car j’ai toujours aimé le contact humain ». Questionnés sur le sens qu’ils attribuent à cette notion de dynamisme, les étudiants interrogés évoquent la possibilité d’échapper au poids d’une hiérarchie qu’ils semblent considérer comme trop marquée et imposée par les modèles organisationnels conçus par leurs aînés. Ainsi, la maîtrise de la production de supports de communication, dans sa dimension technologique, notamment, voire quasi exclusivement, grâce aux outils numériques, est présentée comme un moyen de positionnement et d’affirmation personnels au sein des organisations.

18Dès lors et même s’il convient de garder un regard critique sur les théories relatives à une « génération Y », on observe bien un discours portant avant tout sur l’autonomie dans le travail et sur la qualité de vie, bien plus que sur des principes et des procédures liés à des métiers. L’entreprise hiérarchisée, les notions d’organigramme ou de circuits de décision et de validation semblent faire ainsi parfois figure d’épouvantails pour de nombreux étudiants en communication soucieux d’une « liberté d’action », de la préservation de « marges de manœuvre » et d’une « distance entre vie professionnelle et vie privée ». En conséquence, il est permis de s’interroger sur l’émergence et la généralisation éventuelle d’une certaine culture « freelance » chez les futurs communicants, au regard d’organisations qui attendent un engagement de leurs salariés dans le cadre de projets d’entreprise, de projets de services ou de chartes managériales.

19Finalement, il est permis de se demander si, sous contrainte d’employabilité et au regard de nouvelles attentes personnelles, les représentations formulées par les étudiants de Master en communication et par les candidats pour ces formations ne tendent pas à davantage se référer à des activités de technicien de production qu’à celles de manager de projet, de cadre en communication, c’est-à-dire de contributeurs à la stratégie de communication de l’organisation. Confrontés à la nécessité d’un arbitrage entre d’une part, les exigences de l’organisation et du marché de l’emploi et, d’autre part, une volonté personnelle affichée de créer les possibilités fonctionnelles et symboliques d’une activité indépendante, un bon nombre de candidats et d’étudiants en communication semblent tenter de négocier une nouvelle forme de professionnalité (Bourdoncle 1993) à la marge de la notion de profession et à la lisière des contingences structurelles.

Perspectives : vers quels savoirs en communication ?

20À l’heure où le secteur de la communication se restructure du fait de l’émergence de nouveaux métiers impactés par les évolutions des technologies et des usages ainsi que les reconfigurations organisationnelles, la fonction marketing voit elle-même son périmètre redéfini au sein des organisations en faveur d’une fonction de médiation interne et externe à laquelle prétendaient traditionnellement de nombreux cadres ou responsables de projets en communication. Se sentant parfois cantonnés à une activité de production de supports en flux tendus, les communicants sont nombreux à développer une certaine frustration quant à leur positionnement institutionnel, à l’évolution de leur périmètre d’activité et au manque de perspective professionnelle offerte. Dans ce contexte, les étudiants en communication semblent considérer, quant à eux, l’essor des métiers de la production de supports comme un levier potentiel dans une optique d’insertion professionnelle et d’affirmation individuelle au regard des structures préétablies. Ainsi semble s’opérer chez ces acteurs une négociation du sens de leur activité qui se joue entre des questions de spécialisation technique et des problématiques d’expertise stratégique. Aux dires des professionnels, cette même négociation du sens attribué à la fonction communication et à ses activités paraît également concerner les organisations dédiées aux activités de communication, qu’il s’agisse de services, de départements intégrés ou d’agences indépendantes. En effet, c’est l’activité même de communication qui renvoie de moins en moins à une dimension finie pour épouser des dynamiques itératives entre spécialisation technique et ambition stratégique.

21Plus globalement, il semble que l’on assiste à une mutation de la professionnalité et de la professionnalisation des communicants à travers un ensemble de tensions fonctionnelles et symboliques au sein des organisations. Ainsi, alors que la communication est majoritairement perçue par les recruteurs et les étudiants comme un outil de production au service d’une stratégie élaborée par la fonction marketing, les formations supérieures universitaires adossées à la recherche en Sciences de l’Information et de la Communication (SIC) se trouvent confrontées à la nécessité de témoigner de leur capacité à assurer l’insertion socio-économique de leurs diplômés en leur permettant de développer un certain nombre de savoirs professionnels liés à cette activité de production.

  • 5 Notons à ce sujet qu’un certain nombre d’organismes à mission de service public se dotent aujourd’h (...)

22Il apparaît cependant que les étudiants en SIC, notamment à travers la compréhension fine qu’ils peuvent développer des enjeux organisationnels et communicationnels sur la base de connaissances et de méthodologies propres aux sciences humaines, restent bien positionnés pour assurer des fonctions de médiation en termes de coordination de projets de communication. Ce positionnement favorable nécessite cependant qu’ils puissent répondre aux conditions posées en termes d’exigences professionnelles par les recruteurs, et notamment à celle de leur compréhension de la démarche marketing qui préside aujourd’hui à la prise de décision au sein de nombreuses organisations, qu’elles soient commerciales ou non5.

23Cependant, peu de Masters en SIC affichent actuellement dans leurs programmes des résonances entre communication et marketing (De la Broise, Morillon 2014). Cette articulation étant revendiquée par de nombreux cursus en sciences de gestion, il semble que, dans un contexte d’évolution marquée des métiers de la communication, les SIC entrent de fait en concurrence avec le marketing et l’ensemble des approches managériales sur le terrain de la compréhension et de la formation à la médiation au sein des organisations. Au-delà de l’analyse située et exploratoire que nous effectuons ici et d’un périmètre d’investigation limité qui pose la question de la transférabilité de nos constats à l’échelle nationale, se pose la question de la définition et de l’expression du périmètre des savoirs accessibles grâce aux formations de niveau Master en communication. En ce sens, une question séminale se pose aux Sic dans le cadre de la recherche raisonnée d’une adéquation formation-emploi, en ce qui concerne leur appétence et leur capacité critique vis-à-vis du développement d’une approche en sciences humaines portant un regard documenté sur des objets communicationnels saisis dans des leurs contextes socio-économiques.

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Bibliographie

BALESTIBAUD-MONSEIGNE A., GUILHAUME G. (Dir.) (2012), Communication et Organisation n° 41, La mutation du métier de communicant public. Presses universitaires de Bordeaux.

BERTHELOT-GUIET K., MARTI DE MONTETY C., & PATRIN-LECLERE V. (2013), « Entre dépublicitarisation et hyperpublicitarisation, une théorie des métamorphoses du publicitaire », Semen, n° 36, p. 53-68.

BOUILLON J.-L., BOURDIN S., & LONEUX C. (2007), « De la communication organisationnelle aux « approches communicationnelles » des organisations : glissement paradigmatique et migrations conceptuelles », Communication & Organisation, n° 31, Presses Universitaires de Bordeaux, p. 7-25.

BOURDONCLE R. (1993), « La professionnalisation des enseignants », Revue française de pédagogie, n° 94, p. 73-92.

COUSSERAND I., BLIN D. (Coord.) (2010), Communication et Organisation, n° 37, La communication à l’épreuve des mutations économiques, Presses Universitaires de Bordeaux.

DE LA BROISE P., MORILLON L., « Des pratiques aux formations professionnelles, les liaisons dangereuses du marketing et de la communication ? », in Lépine, V., Martin-Juchat, F., Millet-Fourrier, C. (Dir.) (2014), Acteurs de la communication des entreprises et organisations: pratiques et perspectives. Presses universitaires de Grenoble

DE SWAAN ARONS M., VAN DEN DRIEST F., WEED K. (2014), « The ultimate marketing machine », Harvard Business Review, July-August.

DUBAR C., TRIPIER P., BOUSSARD V. (2015), Sociologie des professions, 4e édition, Armand Colin.

GALIBERT O. (2014), « Approche communicationnelle et organisationnelle des enjeux du Community Management », Communication et organisation, n° 46, Presses Universitaires de Bordeaux, p. 265-278.

JOVCHELOVITCH S. (2007), « La fonction symbolique et la construction des représentations : la dynamique communicationnelle Ego/Alter/Objet », Hermes, n° 41, La fonction symbolique et la construction des représentations. CNRS Éditions.

LEPINE V., DAVID M. D. (Dir.) (2014), Cahiers du Resiproc, Pratiques et réflexions autour des dispositifs d’apprentissage et de formation des communicateurs. Belgique, Presses universitaires de Louvain.

LEPINE V., MARTIN-JUCHAT F., & MILLET-FOURRIER C. (Dir.) (2014), Acteurs de la communication des entreprises et organisations: pratiques et perspectives. Presses universitaires de Grenoble.

MONTEL O. (Dir.) (2009), « Travail, emploi, chômage ». Les Cahiers français. La Documentation française.

QUENSON E. (2012), Une socio-histoire des relations formation-emploi. L’Harmattan.

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Notes

1 www.communicationetentreprise.com (dernière consultation le 27/11/15)

2 Sup de com (2014), Baromètre des métiers de la communication, www.ecoles-supdecom.com (dernière consultation, 1/12/15).

3 Ce corpus regroupe les prises de notes relatives à 40 entretiens réalisés entre juin 2013 et septembre 2015.

4 Entre guillemets : expressions relevées lors d’entretiens avec des étudiants ou des professionnels

5 Notons à ce sujet qu’un certain nombre d’organismes à mission de service public se dotent aujourd’hui de services de « Marketing social »...

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Pour citer cet article

Référence papier

Fabien Bonnet, « Quelle relation formation-emploi pour les communicants ? Les savoirs en communication à l’épreuve des représentations des parties prenantes de la formation »Communication et organisation, 50 | 2016, 245-254.

Référence électronique

Fabien Bonnet, « Quelle relation formation-emploi pour les communicants ? Les savoirs en communication à l’épreuve des représentations des parties prenantes de la formation »Communication et organisation [En ligne], 50 | 2016, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/communicationorganisation/5448 ; DOI : https://doi.org/10.4000/communicationorganisation.5448

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Auteur

Fabien Bonnet

Fabien Bonnet est Maître de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université de Haute-Alsace (UHA) et membre du laboratoire CRESAT (E.A. 3436). Ses travaux portent sur les pratiques et discours marketing et notamment sur les stratégies de marques et la professionnalisation des communicants ; fabien.bonnet@uha.fr

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